L’excision, une marque à vie

Plateau, l’Indénié, 17 h TU. Bloquée dans un embouteillage, la conversation de trois passagers à l’arrière du taxi me parvient sans effort. Le sujet n’est autre que les femmes excisées.
L’un d’eux vient d’une mission dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Il raconte à ses amis sa soi-disant ‘’ mésaventure’’ avec une fille rencontrée au cours de sa mission.
« J’ai fait la connaissance d’une belle ‘’go’’ lors de la mission… c’était une vraie meuf avec des courbes appétissantes. On passait les soirées ensemble. Un soir on a voulu aller plus loin. Après les préliminaires, j’étais déterminé à découvrir ce corps aux formes généreuses qui depuis quelques jours aguichait mon appétit sexuel. Une fois dans la chambre et au moment de goûter au fruit interdit, je tombe des nues. Dès que la partie intime de la belle fée s’est offerte à moi, mon érection est tombée, tout d’un coup. Ma belle aux jambes galbées et à la croupe énorme était excisée. L’image était trop choquante. Elle avait été excisée et de la pire des manières. Ses bourreaux lui avaient presque tout arraché de son appareil génital : le clitoris ainsi que les deux lèvres (inférieure et supérieure) ont été soigneusement taillés. Face à ce décor macabre et lugubre, je lui ai gentiment demandé de se rhabiller. On a continué de se voir, mais je n’ai pu aller au-delà de la simple amitié. Malgré sa grande beauté je crains que l’avenir de cette fille ne soit gâché ».
Le conducteur s’en mêle, la discussion s’enflamme. Je suis au plus mal. Compassion féminine oblige.
« Lorsqu’une coutume traverse les ethnies, les classes sociales, les formations économiques, les religions, les terroirs, les régions, les continents… ce n’est plus une coutume, c’est une politique. Une politique inversement se juge et se combat de l’« extérieur» comme de l’ «intérieur». De par cette citation de Séverine Auffret au début de son livre : Des couteaux contre des femmes, je me donne le droit de juger cette pratique encore tenace au fin fond de nos terroirs. Mondialement reconnue, pourtant comme une violation des droits de l’homme.
Le poids de la tradition

Dans la plupart des pays africains, de nombreuses jeunes subissent encore les affres de l’excision. C’est sans aucune défense qu’elles sont excisées en groupe ou individuellement. Avec pour prétexte que la douleur ressentie au moment de cet acte barbare va renfoncer leur caractère de femme. Elles pourront, leur a-t-on dit, affronter aisément les douleurs de l’accouchement, les épreuves de la vie et surtout devenir des femmes vertueuses.
Ces filles excisées grandissent et découvrent, pour celles qui ont la chance d’être instruites et qui ont une ouverture d’esprit, qu’elles ont été bernées. Leur vie sexuelle serait à tout jamais entachée. Elles sont pour ainsi dit marquées à vie.
D’autres par contre, ne le réalisent pas puisqu’elles feront subir cette même atrocité à leurs progénitures.
Des chiffres accablants pour la Côte d’Ivoire
La Côte d’Ivoire est l’un des pays d’Afrique les plus touchés par la pratique de l’excision. On estime à 36 % le nombre de femmes excisées dans le pays. La ministre ivoirienne de la Solidarité, de la Famille, de la Femme et de l’Enfant, Anne Désirée Olotto, dans son adresse à la nation au cours de l’édition 2014 de la Journée internationale contre les mutilations génitales a révélé que les programmes et les campagnes de lutte contre les mutilations génitales n’ont pas produit les résultats escomptés. « En dépit de l’application de la loi N°, 98/757 du 23 décembre 1998 et de quelques condamnations, des efforts de sensibilisation sur les conséquences désastreuses des mutilations génitales féminines sur la santé physique, morale et reproductive de la femme, celles-ci sévissent toujours. Aussi, à la faveur de la présente édition de la Journée internationale de lutte contre les mutilations génitales féminines, devrions-nous marquer un arrêt pour analyser le bilan des stratégies mises en œuvre qui ont malheureusement montré toutes leurs limites », a-t-elle alerté.
Exhortant ainsi à une franche mobilisation contre cette gangrène qui constitue une atteinte au droit et à la dignité de la femme. « Frères et sœurs, chers compatriotes, hommes et femmes de Côte d’Ivoire, communautés sœurs vivant en Côte d’Ivoire, tous, nous sommes concernés par les MGF ; n’ayons pas honte d’en parler. Engageons-nous pour REFUSER et STOPPER ces pratiques honteuses, rétrogrades et néfastes à la santé des femmes et des filles», a déclaré Anne Désirée Olotto.
Vivement que la Côte d’Ivoire qui aspire à l’émergence à l’horizon 2020 parvienne à juguler au plus vite ce fléau.
Mariam Sorelle
Commentaires